Tourner un film est la chose la plus ennuyeuse du monde.
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Impossible de prendre du temps pour se concentrer. On ne vous en donne pas. Ce qui fait que l'esprit, l'humeur, le caractère sont soumis à une sorte de douche écossaise dont le flot de moments intenses et forts ne durent que quelques minutes, alors que la douceur tiède de l'attente distille son ennui durant des heures.
Rien n'est plus favorable à la naissance d'une passion que ce mélange de solitude ennuyeuse et de quelques moments rares et longtemps désirés.
J'avais vingt ans, je tournais mon premier filme, Ciel d'Enfer, réalisé par Youssef Shahin, un de mes amis qui, comme moi, est chrétien libanais vivant en Égypte. J'avais pour partenaire féminine la grande star Faten Hamamam, qui allait par la suite devenir ma femme. Et, comme je viens de l'expliquer, j'attendais deux ou trois heures le moment de me concentrer intensément pour entrer quelques minutes dans le personnage d'un jeune homme séduisant et séduit qui triomphe de l'amour et la mort.
Seules des lectures d'intérêt mineur, des lectures qu'on peut qualifier "de surface", par opposition aux lectures profondes, pouvaient meubler ces heures d'attente. Je me vois encore dans une petite librairie du centre d'Alexandrie, parcourant du regard les rayonnages à la recherche de livres ennuyeux, mais pas trop. Je rejetais Proust -- que plus tard me procura d'énormes plaisirs--, je me refusais le génial romancier de l'Angleterre puritaine, Thackeray. J'avais dévoré la Foire aux Vanités, et je savais que son grand héros, Pendennis, était exactement l'étudiant d'Oxford dont j'aurais aimé jouer le personnage... Et mes yeux se portèrent par hasard sur le Blue Book -- en français, je suppose que c'est le "Livre Blue" -- de Goren.
J'ignorais alors tout du bridge, je savais seulement que c'était un jeu de cartes qui se joue à quatre. Et le lendemain, c'est d'une âme parfaitement indifférente que j'ouvris ce livre, confortablement installé, attendant que le réalisateur qui organisait on plan de tournage ait besois que le séducteur de Ciel d'Enfer appairaisse dans le champ pour y accomplir ses ravages.
Omar Sharif, Ma vie au bridge.
[I have had a book accepted for publication. The difference between the life of the writer and that of the actor in a film is that the waiting around goes on for months rather than a mere couple of hours.]
6 comments:
Which one - LR? Or are we talkin something new here?
LR.
Congrats Helen!
I can't wait to get a copy!
Awesome. I'm a really big fan of Lesbian Roughriders. Can't wait to see it in print.
Congratulations Helen. I'm pretty sure Mithridates is joking, but I would be first in line to read your Sapphic erotica.
Yesssss!
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